Difficile d’ignorer le big data (mégadonnées) aujourd’hui : c’est la tendance lourde du monde des entreprises et des organisations. Tous les domaines d’affaires sont touchés par la chose, ou le seront éventuellement à brève ou à moyenne échéance. La profession comptable n’échappera pas à ce profond bouleversement, alors que les comptables et les auditeurs devront envisager de nouvelles manières de voir et de faire. Comment les mégadonnées changeront-elles la donne pour les comptables et les vérificateurs? À quoi les membres de la profession doivent-ils s’attendre dans le futur? Samuel Sponem, professeur agrégé au département des sciences comptables de HEC Montréal et titulaire de la Chaire internationale CPA de recherche en contrôle de gestion, a son idée là-dessus. Nous l’avons rencontré.
JobWings : En votre qualité d’observateur attentif de l’évolution de la profession, de quelle manière entrevoyez-vous l’utilisation des mégadonnées par les comptables et les vérificateurs?
Samuel Sponem : Le big data touchera à la fois les comptables en cabinet d’audit, tout comme ceux œuvrant en entreprise. Pour les premiers, on entrevoit que la manière d’analyser, de comprendre et de vérifier les comptes va changer. Depuis 30 ans, on fonctionne dans un paradigme où les auditeurs n’utilisent qu’une partie des comptes pour les valider. Avec les mégadonnées, on pourra éventuellement employer la totalité des données afin de repérer les incohérences. On n’y est pas encore, mais ça s’en vient. Et pour les comptables qui travaillent en entreprise, les compétences requises à l’heure actuelle, à savoir produire des comptes valides et conformes, et procéder à l’analyse de ces derniers, vont certainement demeurer. Toutefois, en ce qui concerne leur fonction d’aide à la décision et leur rôle dans la mesure de la performance organisationnelle, ces comptables pourraient connaître une certaine concurrence de la part des analystes de données qui, pour leur part, possèdent des compétences statistiques et seraient en mesure de trouver des récurrences dans les données comptables de l’organisation.
JobWings : Accolée à la notion de mégadonnées, on retrouve également la notion d’intelligence artificielle. Y a-t-il des choses à prévoir de ce côté?
Samuel Sponem : Il faut dire que la profession connaît déjà un taux élevé d’automatisation dans ses processus. L’intelligence artificielle, en conjonction avec le travail de l’analyste de données, pourra éventuellement permettre de trouver ce qui fait qu’une entreprise gagne de l’argent, bref de mieux comprendre son modèle économique. Aujourd’hui, on essaie de comprendre ce qui fait la réussite de l’entreprise ou de l’organisation par l’entremise d’inducteurs de coûts ou de mesures de performance. À l’avenir, on pourrait peut-être, de manière scientifique et à l’aide de puissants algorithmes, trouver ce qui fait le succès, ou non, d’un modèle d’affaires.
JobWings : À ce compte, où se situera la valeur ajoutée que pourra apporter le comptable ou le vérificateur à l’organisation dans une décennie ou deux?
Samuel Sponem : C’est une bonne question, et l’ordre des CPA se la pose également. Personne n’a vraiment la réponse aujourd’hui. En revanche, il y a des choses que les comptables savent faire. Assurer la fiabilité des comptes, ça reste! Connaître la nature des affaires qui sont menées dans l’entreprise, c’est-à-dire traduire l’activité en indicateurs de performance, ça demeure également. Je ne suis pas sûr que tous les gens en technologies de l’information savent faire cela.
JobWings : Un changement aux cursus d’études ou à celui de la formation continue est-il à prévoir?
Samuel Sponem : En termes de formation, on demande déjà beaucoup de choses aux comptables. Mais on peut imaginer qu’ils pourront acquérir certaines bases de programmation, d’analyse de données et de traitement statistique. Il y aura certainement de nouvelles spécialisations qui apparaîtront, et qui viendront compléter ce que les comptables font déjà.